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(Sabah) La lettre de Medhi aux élèves du collège Jean Macé
--> lettre d'un personnage fictif de 17 ans, frère de Sabah

Certains éléments du film Sabah intègreront des témoignages écrits par des élèves de collèges dans le cadre d’ateliers d’écriture mis en place par l’As de PIC en partenariat avec le service prévention de la Ville de Sainte-Geneviève-des-Bois et l’écrivain Sadek Aïssat. Ce travail s'est appuyé sur une lettre censée être écrite par Medhi, 17 ans, qui raconte le drame dont il a été l'acteur : Medhi « s’amuse » à lancer des pierres sur un véhicule de pompiers sans savoir qu’ils portent secours à sa propre sœur, Sabbah, victime d’un accident mortel et dont la vie dépend de l’arrivée rapide des pompiers…

 

vendredi 11 juin 2004

Je m’appelle Medhi Lounès. J’ai 17 ans. Si tu tapes mon nom sur Internet, tu trouveras sans doute une tonne d’articles de presse qui racontent mon histoire. Une histoire qui te paraîtra bien triste. Si je t’écris, c’est parce que je voulais raconter ce qu’on ne sait pas. Parce ce que la vie d’une personne ne peut pas se résumer aux gros titres des journaux. Je voudrais vous raconter les choses de mon point de vue. Pas pour nier ma responsabilité, mais juste parce que ça fait du bien de se raconter.

Ça fait du bien de mettre des mots sur sa vie. Moi ça faisait longtemps que je n’avais pas écris. J’avais même cru que je ne savais plus écrire ni m’exprimer. J’avais cru que « l’expression » cela ne servait qu’à école. Aujourd’hui, je me dis que c’est la meilleure arme que l’on peut avoir dans la vie : savoir s’exprimer. Alors, voila, je le fais. Si en plus ça peut servir à d’autres que moi, pour ne pas qu’ils reproduisent mon expérience, alors tant mieux. Les plus beaux souvenirs Comment commencer ? Par le début, t’en qu’à faire. J’ai grandi avec mes parents et ma sœur Sabah dans la Cité Lamartia, à Villetigny-sur-Seine, en Essonne. Un quartier « sensible » comme ils disent les journalistes. Mon père était électricien et ma mère comptable. Leur rêve, c’était de quitter la Cité pour s’acheter un pavillon. Avoir un jardin et tout. Quand j’ai eu 10 ans, ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient : une petite maison, pas trop chère, juste à côté de la cité Lamartia (parce que les maisons près des cités, c’est toujours moins cher…).

Les souvenirs que j’ai de cette période sont plutôt heureux. Je voulais devenir écrivain. Je remplissais des cahiers entiers avec mes histoires d’enfants. Le soir, je les lisais à ma sœur Sabah qui les kiffaient grave. Elle m’encourageait à écrire. Sabah a 9 ans de plus que moi. Elle a toujours cartonné à l’école, elle faisait du théâtre, elle faisait toujours pleins de chose. Elle avait crée l’association « Malices » qui proposait des activités pour les jeunes dans le quartier. Tout le monde l’aimait, j’étais fier d’avoir une sœur comme ça. Voila, ça c’était les plus beaux souvenir de ma vie. Maintenant je vais vous raconter le reste. Je ne veux pas que vous me plaigniez. Je ne veux pas de pitié. Je veux juste que celui ou celle qui lit cette lettre accepte d’écouter jusqu’au bout mon histoire. Juste ça. Parce que savoir que quelqu’un vous écoute, ça fait toujours du bien, hein ? Mon père Un soir de novembre, alors que j’avais 11 ans, je suis rentré de l’école.

Je revois la scène : il faisait déjà nuit mais on voyait le ciel nuageux qui passait lentement au-dessus la ville, indifférent, illuminé par cette même lumière orange qui semble éclairer toutes les banlieues. J’ai traversé le jardin encombré de gravats. Mes parents avaient acheté la maison il y a plus d’un an mais les travaux avançaient lentement, faute d’argent. Dans le salon, j’ai vu ma mère et ma sœur assises sur le canapé, en train de parler à Gérard, un collègue de chantier de mon père. Quand je suis rentré dans la pièce, ils ont tous tourné la tête vers moi et ma mère s’est effondrée en sanglots. Elle n’a pas pu le dire. C’est Sabah qui l’a dit. « Papa a eu un accident de travail ». Alors, à cet instant, en même temps que l’horrible douleur qui me traversait le ventre, j’ai su en que ma vie allait changer du tout au tout. Pendants que je m’effondrais, Sabah m’a enserré dans ses grands bras protecteurs en murmurant « C’est trop dur, petit frère, c’est trop dur, … » Passé le deuil, j’ai vite compris que les ennuis ne faisaient que commencer. Sabah a interrompu ses études pour trouver du travail. Le soir elle continuait quand même ses cours de théâtre. Le week-end elle s’occupait de l’association. Ma mère a pris un autre taf’ le soir. Je me suis retrouvé un peu seul. Le soir j’écrivais dans un cahier secret toutes les phrase que j’aurais aimé dire à mon père. J’enfouissais le cahier loin sous mon matelas. Comme si j’avais honte de ma douleur. L’oncle Et puis il y a eu cet oncle qui est venu du bled pour nous aider, le frère de mon père. Il s’est installé à la maison. Il disait qu’il fallait vendre la maison. Il disait des choses de manière autoritaire. Il voulait que ma mère fasse les choses comme il voulait. Il disait qu’il fallait que Sabah trouve un bon mari. Il disait que ce n’était pas bien qu’elle fasse du théâtre, qu’une fille ne devait pas se montrer en spectacle. Pendant un an, ça a été la guerre à la maison. Sabah et lui se prenaient toujours la tête. Par contre, il était cool avec moi. Malgré tout, durant toute cette période, j’ai eu l’impression d’être transparent, de ne pas compter. J’avais le droit de sortir le soir. Ma mère me grondait quelques fois, mais elle pouvait rien faire, car elle bossait tard le soir. Moi j’allais dans la Cité, avec mes potes. C’est à peu près à cette période que j’ai arrêté d’écrire des histoires. Finalement, Sabah et ma mère ont réussi à réexpédier l’oncle d’où il venait. Du coup, la vie a changé pour moi. Moins de sorties, plus de pression pour l’école, ça me prenait la tête. C’était tendu avec ma sœur. Elle me disait « Medhi, Medhi, tu as changé. Parle moi ». Mais moi, j’avais plus rien à lui dire. Bien sûr que j’avais changé ! J’avais envie de hurler : mon père est mort et il me manque ! Mais comment le dire ? Comment le raconter ? Même dans mes cahiers, je ne trouvais pas les mots. Mais en vrai, j’avais trop envie de pleurer tous les jours, et parfois, ça m’arrivait en cachette… Le collège Et puis je suis rentré au collège. J’ai eu la trouille la première année. C’était un autre monde. Une école immense, avec pleins de profs, pleins d’élèves, des matières nouvelles. Et puis y’avait les plus grands qui vous mettaient la pression. Moi j’étais tout petit de taille, pas très imposant. Y’avait des troisième de 15 mètres de haut, des masses çacom’. J’étais mal. Vous voyez, j’étais plutôt timide, et les premiers mois ça été vraiment très dur. En plus, j’étais pas vraiment bien sapé et pour tout le monde ça comptait beaucoup d’avoir le bon look, et moi j’avais trop honte avec mes Reebooks toute pourraves d’il y a 15 ans. Mais laisse tomber, je ne pouvais pas demander à ma mère de me payer des sapes top. Elle galérait tellement pour payer la maison. La rédaction Un jour, en cours de français (j’étais en 6ème B) la prof a rendu les rédacs. Elle m’a félicité et a lu la mienne à toute la classe tellement je l’avais cartonnée. Dans le fond de la classe, des keums ricanaient. Surtout Krimo, un grand gars balèze qui ne m’aimait pas. J’ai jamais su pourquoi. Il m’affichait sans arrêt sur mon look. Ce jour là, je l’ai croisé dans la rue après le collège, il était avec une bande de potes à lui, des mecs de Lamartia, plus grands. Moi, je raccompagnais une fille de ma classe que j’aimais bien. Ils se sont approchés de moi et ils ont commencé à m’embrouiller. Krimo m’a dit « espèce de fayots. Tu fais de la lèche aux profs pour qu’ils te voient bien et tout. On sait bien que c’est pas toi qui l’a écrit ta rédaction, c’est ta sœur ». J’ai nié en bloc. Mais je flippais tellement que les mots ne sortaient pas. J’ai flippé, et c’est la fille qui m’a défendu. La honte de ma vie ! Le soir, j’ai craqué, je me suis embrouillé avec ma sœur, ma mère, les traitant de tous les noms, et puis je me suis enfermé toute la soirée dans ma chambre. Dans ma tête, je parlais à mon père et je m’excusais pour toutes les fautes que je croyais avoir commises. Ou pour celles que j’allais commettre. La flippe Les semaines qui ont suivi, ça a été l’enfer. Je flippais d’aller au collège. Les mecs de ma classe racontaient en douce que j’étais un dégonflé, que j’avais balisé grave devant les mecs de Lamartia et tout. Et surtout que je me la pétais parce que ma sœur c’était la Présidente de l’association Malices. Le matin, pour aller au collège, et le soir pour rentrer, je faisais un détour pour éviter de croiser du monde. En fait, pendant des semaines et des semaines, j’étais terrifié d’aller au Collège. Mais je pouvais le dire à personne. Un jour, quand même, j’ai raconté ça à mon pote Fab qui habitait Lamartia. Il était en troisième. Fab était assez chaud, et quand je lui raconté mon embrouile, il s’est vénère. Un jour, à la sortie du collège, il a attrapé Krimo, le mec de ma classe et a commencé à l’embrouiller devant moi. Voyant sans doute qu’il ne ferait pas le poids face à Fab, Krimo a pris ça plutôt cool, reconnaissant volontiers qu’il avait un peu abusé avec moi. A partir de ce jour là, il est devenu sympa. Et on est devenu pote. On se voyait en dehors du collège, j’ai commencé à traîner avec lui. En fait, je l’admirais un peu parce qu’il semblait se moquer de tout. Il ne travaillait jamais, il répondait aux profs. Le dernier trimestre, j’étais toujours au fond de la classe à me marrer avec lui. J’ai redoublé. Mais j’en avais rien à faire. J’avais pris de l’assurance. Je crois que c’est vraiment cette année là que je suis parti en vrille. Le mauvais esprit Je ne vais pas vous raconter toute ma vie mais pour résumer, disons que je suis devenu un élève moyen. Les profs marquaient tous la même chose sur le bulletin : « Quel gâchis ! »..Et moi ça me faisait rire. Je travaillais juste de quoi éviter le redoublement, pour ma mère, pour pas qu’elle me prenne la tête. La pauvre, elle ne savait plus quoi faire. Ça me faisait mal, quelque part, de la décevoir. Mais je ne pouvais pas m’empêcher. Tout ce qui comptait pour moi, c’était mes potes. J’ai arrêté l’école au lycée, après ma seconde. Là, ça a été un tournant. Là, en faisant ça, j’ai fais une grosse boulette. C’est clair. Comment expliquer ça ? En repensant à ces dernières années, je me dis que ma sœur Sabah avait raison quand elle me mettait en garde contre le « mauvais esprit ». Ce qu’elle appelait comme ça, c’est l’état d’esprit et la mentalité qui régnait à Lamartia : le sentiment que de toute façon, on n’avait aucune chance dans la vie quand on habitait dans une cité. Une vision noire. Défaitiste. « Une vision de loser » qu’elle disait ma sœur. Je ne supportais pas quand elle disait ça. Mais avec le recul, je crois qu’elle avait raison. Le mauvais esprit, c’est cette manière de voir qui te fais mettre d’office dans la position du perdant : « de toute façon, c’est perdu d’avance », c’est ça que tu te dis, sans même avoir essayé de te battre. Quand j’étais au collège, et qu’on m’a pris la pression parce que j’avais de bonnes notes, j’ai baissé la tête, et j’ai préféré me rallier à ceux qui me mettaient la pression. Je suis devenu un mauvais élève pour arrêter qu’on se moque de moi. C’est de ça dont j’ai honte aujourd’hui. Parce que j’ai renié qui j’étais. Mais en vrai, quelle honte à avoir du talent, des rêves, à assurer à l’école ? Je voulais devenir un grand écrivain, un grand romancier. J’ai abandonné cette idée, alors que j’avais des facilités. Je ne me suis pas respecté. Pour exister, je me suis à ressembler à tout le monde, à jouer la racaille, à parler agressivement, à insulter, à n’accepter aucune parole d’adultes. J’avais une drôle de vision des choses : les adultes étaient tous pour moi des gens qui n’avaient rien compris à la vie : même ma mère, je la rangeais dans cette catégorie là. La pauvre elle trimait toute la journée pour payer la maison alors que moi je connais des gars qui en une semaine touchaient ce qu’elle mettait un mois à gagner. D’une manière générale, tous ceux qui me donnaient des conseils « raisonnables », je me disais que c’étaient des «bouffons ». Seul l’avis de ma bande de potes comptait. Les profs qui me disaient que je gâchais mon avenir, je les voyais comme des bouffons parce que moi j’étais persuadé que j’allais mourir jeune, et que donc j’avais pas d’avenir. Drôle de mentalité, hein ? C’est ça le mauvais esprit : on accepte d’avoir perdu avant même d’avoir essayer de gagner. Pour ne pas avoir l’air trop loser, on parle caillera, on marche frime, on parle d’honneur, de respect, alors qu’on les a perdus depuis longtemps dans sa tête. Mais le mauvais esprit, c’est encore plus que ça : on a accepté d’être des perdants, mais on veut que tout le monde nous ressemble, alors on met la pression aux autres. On veut pas se sentir seuls à galérer, alors on fait galérer les autres. On se moque des bons élèves, on les rackets, on aime leur faire peur. On devient moins sensible aux autres. La violence devient un jeu. Je me rappelle au début du collège comme la peur me tenait le bide, même une simple claque me traumatisait pendant plusieurs jours. Quelques mois, plus tard, je pouvais mettre un coup de poing à keum, comme ça, pour le fun, sans même m’imaginer du traumatisme qu’allait ressentir le type sur qui je tapais. C’est bizarre, hein ? On a mal à l’intérieur de soi, alors on veut que les autres aient mal aussi. Evidemment, on n’en a pas vraiment conscience, c’est parce que j’ai réfléchi que je peux dire ça. Si j’avais eu les mots plus tôt, peut-être que tout cela ne ce serait pas passé. « Le mauvais esprit », c’est ne penser qu’à une seule chose : son propre plaisir, quitte à voler l’Autre, l’humilier, être incapable de se mettre à sa place. « Le mauvais esprit », c’est de toujours s’attaquer à ceux qui sont plus faibles que nous. Par exemple se mettre à plusieurs sur un seul mec. Où saouler une fille, la faire flipper à plusieurs keums pour obtenir quelque chose d’elle. « Le mauvais esprit », c’est considérer que les filles sont inférieures aux mecs. Il y en a qui sont tellement persuadés de ça qu’ils les considèrent comme des objets. Pour eux, les filles font pleins de « chichis », elles sont compliquées, se sont des preneuses de tête, alors il suffit d’être violent pour avoir le dessus parce qu’elles n’ont pas notre force. La vérité, c’est que pour bien s’entendre avec les filles, faut savoir respecter les autres. C’est ce que je pense maintenant, mais ça n’a pas toujours été le cas. « Le mauvais esprit », c’est se dire que l’on n’est pas obligé de suivre les règles puisque les règles sont injustes. C’est exigé de n’avoir que des droits, et aucun devoir. C’est se dire : « regardez, les hommes d’affaires, les chefs d’entreprise, les hommes politiques, ils volent des milliards, alors pourquoi moi je devrais suivre les règles ? ». Quand je disais ça à ma sœur, elle me tuait sur place : « Regarde comment on parles des voleurs : milliardaires ou pas, t’as envie de leur ressembler ? Tu veux qu’on parle de toi comme ça ?Tu crois que tu pourrais vivre en te regardant dans la glace avec tous tes millions volés ? Pas moi. Papa ne nous a pas élevé pour qu’on devienne des racailles !». Elle m’énervait quand elle disait ça. A chaque fois, je me barrais en claquant la porte. Je savais qu’elle avait raison. D’un autre côté, les mecs avec qui je traînais, ils n’avaient aucun scrupule. J’étais tiraillé. Que penser ? Le mauvais esprit me gagnait. Car le mauvais esprit, en fait, c’est surtout ne penser qu’à l’argent sans jamais se donner les moyens d’apprendre à en gagner. Ça, c’est les plus grands qui m’ont mis ça dans la fête. Quand je dis les plus grands, c’est des mecs de 22 ans-25 ans qui m’ont bourré le crâne avec des idées qui m’ont impressionné quand j’étais plus petit : « à quoi ça sert d’aller à l’école ? Tu sors, et y’a pas de tafs ! Y’a qu’une solution, c’est le bizness ». Je ne sais pas si ils ont raison. Y’en a plein qui réussissent, comme ma soeur. De toute façon, s’il n’y a vraiment pas d’issue, j’aurais préféré m’en rendre compte par moi-même, et pas que ce ne soit des mecs qui me disent ça quand j’étais encore au Collège. En, vérité, je sais pourquoi il m’ont bourré le crâne : je pouvais leur être utile : un mineur, si ça se fait coincer par les keufs, ça risque toujours moins qu’un mec majeur. Je me suis bien fait avoir… Comment j’ai la rage, en y repensant ! Et puis, et puis, et puis… Le soir où… Il y a eu ce soir où les keufs ont fait une descente. Les téléphones portables se sont mis à vibrer dans toute la cité Lamartia. On a tous pensé « C’est cool, de l’action !». Moi comme les autres, je suis sortis dans la rue rejoindre mes potes. Tout le monde était ouf. On voulait tous y être. On se prenait au sérieux, comme les racailles dans les films. On a croisé un grand qui nous a dis de mettre le bordel, de brûler des voitures ou des poubelles pour mettre la pression. On n’a pas hésité une seconde. On a réussi à bloquer pendant 1/2 une ambulance des pompiers. Avec des potes, on se mettait derrière pour pas qu’il fasse marche arrière. On a crevé tous les pneus. Mort de rire ! Les mecs ils flippaient à l’intérieur. Et puis, sans qu’on voit rien arriver dans la nuit, des flics en civils ont déboulé. Moi et Krimo ont est les deux seuls à s’être fait pécho. Même là j’ai pas flippé. L’habitude. J’ai insulté le civil avec son flash-ball. Du coup, il avait bien serré les menottes, j’avais les poignets tout gonflés, ça m’a calmé. Ils nous ont mis dans une Peugeot banalisée et ils ont roulé en silence dans la nuit. Au dessus de nous, le ciel nuageux passait lentement au-dessus la ville, indifférent, illuminé par cette même lumière orange qui semble éclairer toutes les banlieues… La radio des policiers crachait des informations entre deux rafales de grésillements : Le quartier chauffait, les flics organisaient les renforts. J’avais l’impression d’être dans un film !. On est arrivé au commissariat. J’ai eu une drôle d’impression. On dirait qu’ils m’attendaient tous. Et leurs visages : pour une fois, ils avaient pas l’air vénères… juste tristes. Ils ont revérifié mon identité : « T’es bien Medhi Lounès qui habite au 20 boulevard de Provence ? ». J’acquiesçai sur un air de défi. « T’es bien le frère de Sabah Lounès ?». J’acquiesçai encore, habitué à ce qu’on me le demande au commissariat. Ils allaient encore me faire le coup du « comment avec une sœur comme la tienne t’as pu finir racaille ? ». C’était un jeu. Mais bizarrement, ce soir là, apparemment, ils n’avaient pas envie de jouer. Les flics se sont regardés, l’air consterné. Un lieutenant leur a dit de m’emmener à l’étage. Ils m’ont enlevé les menottes. Une femme flic en civil est montée avec nous. Il y a eu un long silence dans le bureau. C’est la femme qui l’a dit : - Medhi… T’as sœur à eu un accident. Il semble qu’elle ait essayé de calmer des jeunes. Une voiture conduite par deux mineurs qui essayaient d’échapper à une voiture de patrouille a perdu le contrôle et a fauché ta sœur sur le trottoir. Les secours sont arrivés trop tard. Elle est décédée il y a une demi-heure. Je suis désolée. » Il y a eu quelques secondes de silence et le flic a continué : -Il faut que tu le saches, Medhi : Le véhicule de pompier que tu as caillassé, c’était celui qui aurait pu sauver ta soeur. Tu es impliqué dans un drôle de truc, mon petit Lounès. T’as merdé, t’as vraiment merdé, je n’aimerais sincèrement pas être à ta place.» Voila. Je vous raconte ça. On dirait un film. Ou une histoire inventée dan mes cahiers d’enfants. Oui, c’est ça : ce cauchemar, c’est un scénario que j’ai écrit. Ça ne peut pas être vrai. Tout est inventé. Moi même, je ne suis pas bien sûr d’exister. Je suis peut-être le personnage d’un film. Quoiqu’il en soit, même si cette histoire n’a jamais eu lieu, chaque jour, des drames comme ça se jouent, souvent dans l’indifférence. Le résultat n’est pas toujours aussi dramatique, parfois il l’est. Le 30 mai dernier, une femme est morte dans un square à Evry, d’une balle perdue tirée par des jeunes au cours d’une bagarre. Cette jeune femme, c’est une anonyme dans un fait divers. Mais imaginez tout à coup que ce soit votre sœur ou votre petite amie ! On ne voit plus les choses pareil de ce point de vue. Alors voila, J’ai voulu écrire cette histoire pour raconter, pour me libérer de ce que j’avais dans la tête. Car, parfois, s’exprimer, trouver les mots pour dire des chose que d’habitude on garde pour soi, ça évite de péter les plombs… Quel est votre ton avis là-dessus ? Quelle histoire as-tu envie de me raconter ? J’attends ta réponse, avec impatience. Amicalement, Medhi Lettre rédigée par Farid LOZES, scénariste du film, juin 2004

Ecrit par , à 21:20 dans la rubrique "écriture scénario Sabah".



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